Le faire-valoir de toutes droites

Publié le par SDJ 30

Point de vue de ... 

 

Pierre MARCELLE
 
Libération : mardi 6 mars 2007
La face obscure de la farce 
 
L'homme tiers emplit les gazettes et la campagne soubresaute, plus opaque que jamais, toute polluée par des hypothèses d'hypothèses, quand on ne sait pas seulement quels candidats seront agréés.
 
En ces brouillards que les sondages organisent, ne se distinguent plus qu'à peine les silhouettes pérennes des exploiteurs et des exploités, des licencieurs et des licenciés, qui ennuient.
 
Alors, allégorique de tout ce que la période électorale recèle d'inédit, tel la Vénus sortant des ondes de Botticelli, coquille Saint-Jacques de Compostelle en cache-sexe, François Bayrou...
 
C'est qui, c'est quoi, François Bayrou ? Du plus loin qu'il me souvienne, un leurre, et le faire-valoir de toutes droites. J'ai beau m'essorer les neurones, rien ne me vient de sympathie pour cette sinuosité, hormis le conjoncturel énervement qu'elle suscite chez ses alliés de toujours et de demain.
 
Le centre : antiphrase ronde ­ quelque chose d'un bedon ­ par quoi tout commence et tout finit, qui ne distingue rien, qui assimile et dissimule tout, qui tout digère ; le monde protéiforme des «divers droite».
 
Appareillage d'élus discrets, réseaux de sorties de messe, apparentements terribles. Avec l'opportunisme comme carburant sui generis, poil et plume, mouvement perpétuel du ni-ni, parthénogenèse. Giscard en père putatif, Robien le sévère et Santini le guignol en traîtres ou en taupes (on verra ça à la Libération), Simone Veil en tutelle et Marielle de Sarnez en go between de l'OAS à la démocratie chrétienne, des Républicains indépendants jusqu'à l'Union pour la démocratie française, (croix de) feu et eau (tiède).
 
Comme lorsque l'étymologie de «libéral» évoque la liberté du renard libre dans le poulailler libre, et invoque celle de travailler jusqu'à soixante-dix ans ; pour «ne pas gâcher», comme dit Roux (Guy) et afin de «réduire la dette», comme dit Courson (Charles-Amédée de). Et les tortueux itinéraires de Yann Piat et Charles Millon, et la vénération de Barre pour Papon, en face obscure de la farce...
 
Mais tout ça, chez Bayrou, d'une franche ruralité : Montagnes Pyréné-é-ées en choeur avec le député Lassalle, le tracteur et les chevaux, le coup (de génie) des neiges éternelles en fond de déclaration de candidature, comme un clocher sur une affiche de force tranquille ; la famille, la terre, le «bon sens». Pour l'esprit, l'amusant «on n'arrête pas une vague», et, l'autre lundi, sur TF1, le prudhomesque «Il faut protéger les jeunes pousses pour avoir de grandes forêts». 
 
Aux antipodes, la gifle («un réflexe de père») décochée au gamin qui lui faisait une poche, en 2002, dans une banlieue de Strasbourg.
 
Car l'école, bien sûr... C'est de François Bayrou, agrégé des lettres, la rente électorale et le plus beau tour de passe-passe (évoquer ici le hold-up parfait, façon vote de censure, l'an passé, contre ses bons amis).
 
A moins que le corps enseignant ne fasse payer cash à Royal la pachydermique démagogie de Claude Allègre, sous lequel elle administra les affaires scolaires...
 
Oubliée, en tout cas, la tentative du Béarnais, de réformer la loi Falloux et financer, à fond la caisse publique, les écoles confessionnelles de son Eglise. «Une erreur», confesse-t-il aujourd'hui. Un bégaiement, en quelque sorte, maîtrisé chez lui comme chez Démosthène, avec des petits cailloux sur la langue, des roses et des bleus, indifféremment. Orateur, un peu ; Cicéron, mais carré. ­ Tu veux dire, un peu autoritaire, et susceptible, comme Ségolène Royal ? ­ On peut le dire comme ça.
 
Et quoi, encore, Bayrou ? Ah, oui ! Essentiel : victime des médias. Depuis quelques jours, moins, cependant ; forcément, les sondages... En a même, comme dit le vulgaire, «pris le melon» ; parle depuis de lui à la troisième personne (pas bon, ça...).
 
Cette semaine, Bayrou, c'était Perrette et le pot au lait, et cette semaine, le lait débordait. C'était, selon d'aucuns, «la révolution centriste», et selon d'autres, une bulle. Attendre l'explosion de la bulle.
 
La face porno de Sarkozy 
 
Autre victime des médias qui lui chercheraient des poux dans le brushing (à propos d'une brutale augmentation de ses revenus, de son patrimoine obscur et de ses affaires immobilières), le président de l'UMP et son candidat investi, ministre d'Etat, ministre de l'Intérieur et de facto Premier... Oui, Sarkozy.
 
A l'heure où je vous écris, en cette fin de vendredi, je le regarde et je l'entends, rédacteur en chef du Grand journal de Canal +.
 
Avec sur le front une flagorneuse assurance, s'avance la petite troupe de chef Denisot, Ariane Massenet et Frédéric Beigbeder, toutes bananes allumées au serrement de louche du petit grand homme, lequel leur met la main au cul comme Chirac à celui des vaches, et allégrement se fout de leur gueule.
 
Rarement vu ça... Entre ses évocations du décolleté de la dame, du tutoiement que lui donne en privé Denisot et du «talent» (immense) de Beigbeder, Sarkozy en fait beaucoup, mais en ces lieux où il est chez lui, l'histrion sait trop bien qu'il n'en fera jamais trop.
 
L'entretien, concède quelques secondes à dix mille licenciements chez Airbus ­ accident industriel d'Etat, mais il va sans dire que l'invité d'Etat n'y est pour rien ­ et redevient pornographique.
 
Tout va sans dire, d'ailleurs, et rien ne se dit, en cette demi-heure où la brève insolence minaudée par une demoiselle météo (elle a dit «Kärscher» ), d'avance absoute par son joli minois, tiendra lieu d'interpellation. De Sarkozy, le cynisme au sourire de loup dissuade jusqu'à l'hypothèse de choses sérieuses. En lui servant la soupe, «la bande à Denisot» se pâme mieux qu'un panel de citoyens sur TF1. C'est récré dans la campagne, c'est apéro dans une ostentation de connivence, c'est présente-moi tes copains, ça tombe bien, ce sont aussi les miens.
 
Traité en élu, le candidat, ivre de lui-même, se dilue dans une irréalité. Invité à tout se permettre, il s'autorise tout. Eblouis, ses hôtes semblent ne même pas mesurer à quel point il les méprise.
 
D'où l'on miaule 
 
­ Crache ta Valda, journaleux, tombe ce masque hypocrite et dis-nous pour qui, ton bulletin de vote ! ­ Mais, ça vous intéresse vraiment ?
 
­ Non, mais c'est pour le principe (démocratique).
 
­ Ah... Ben, en l'état, Royal. Au premier tour, oui...
 
­ Question subsidiaire : Le Pen privé de parrainages, serait-ce un attentat contre les libertés (démocratiques) ?
 
­ L'attentat contre la démocratie, c'est qu'il ait le droit de se présenter... Autre chose ?
 
­ Pas pour l'instant, mais on va y réfléchir.
 
Déstaliniser le robot 
 
Un arrogant correcteur orthographique eut donc ici même, mardi dernier, l'outrecuidance de transformer l'identité du peintre grec Apelle en forme conjuguée du verbe appeler .
 
Rappelons donc que le patronyme de l'auteur de la fameuse apostrophe «Cordonnier, pas plus haut que la chaussure !» (en V.O., Sutor, ne ultra crepidam ) s'écrit avec un seul P.
 
Et volontiers aurait-on passé par pertes cette liberté que la machine prend avec le sens, si la même ne nous avait, le week-end précédent ( Libération des 24/25 février, p.35), transformé un projet de désalinisation des eaux de la mer Morte en une ambition de les déstaliniser. 
Feu le Petit père des peuples en rit encore.

Publié dans Actualité

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