Nicolas Sarkozy au Medef : un discours pour rien qui en dit beaucoup
Nicolas Sarkozy a donc prononcé le jeudi 30 août à 15h00 un discours sur "la deuxième phase des réformes économiques" devant l'université d'été du Medef, qui se tenait sur le campus HEC de Jouy-en-Josas (Yvelines) sur le thème "Jouer le jeu" :
Sur la forme :
Notons tout d'abord la présence inédite d'un Chef de l'Etat dans ce cénacle...
Comme le rappelle un confrère (Josh Lyman) sur Betapolitique, certes, rien dans nos textes ou notre tradition juridique ne le lui interdit : le Medef n'est pas le Parlement et ne met pas en jeu la séparation des pouvoirs. Certes encore, ses prédécesseurs n'ont pas manqué de visiter des "partenaires sociaux", tel François Mitterrand aux congrès de la Mutualité française ou Jacques Chirac devant le mouvement familial.
Mais, à y bien regarder, ces organisations ne relèvent, ni en droit ni en fait, de la sphère syndicale au sens strict. Pour le Président de la République, cette présence au Medef ne peut être comparée qu'avec ce que serait sa participation à des évènements majeurs organisés par la CGT, la CFDT ou FO, par exemple. Une semblable initiative, à n'en pas douter, provoquerait une certaine polémique dans la classe politique et au sein du monde des affaires...
Certes, Nicolas Sarkozy est idéologiquement "en famille", quand il se rend (comme d'ailleurs en 2006) à Jouy-en-Josas...
Mais, consacrer ainsi au sommet de l'Etat des positions aussi peu "arbitrales" que possible, quand on examine les revendications du Medef, au moment même où s'engagent tous les vastes chantiers du dialogue social, est assez osé. S'il s'agissait de mettre sur pied une grande discussion nationale sur la laïcité, la priorité serait-elle aussi d'aller d'emblée s'exprimer devant l'Episcopat ou, à l'inverse, le Grand Orient ?
Sur le fond :
- Le chef de d'État a déclaré que son discours devant le Medef lui donnait "l'occasion de (s)'exprimer sur la situation économique de notre pays et sur la manière dont (il) entend y faire face alors que les turbulences financières menacent la croissance mondiale"...
Voici déjà une manière pour notre président de se dédouaner, alors même, que dans la même situation internationale, l'Allemagne s'en sort bien mieux et connaît une véritable embellie... D'ailleurs, l'exemple de l'Allemagne peut être une bonne illustration : économie de la plus value, de l'excellence, etc. Nous devons sans doute avoir une vision globale et structurelle des problèmes. Au-delà de nombreux éléments précis, les croissances des puissances émergentes entraînent automatiquement une augmentation des prix. Nous sommes très mal préparés à cela et ce n'est pas en adoptant (ou presque) les thèses développées par le Medef que nous allons changer le cours des évènements. Le niveau de vie des Français est de plus en plus atteint et nous proposons une simple politique de l'offre...
Au final, Nicolas Sarkozy adopte (en moins bien) la politique économique américaine qui est justement en crise et désavouée outre-atlantique…
- "En répondant à votre invitation, j'ai voulu exprimer mon souhait que toute la Nation soit rassemblée derrière ses entreprises" (…) "Le travail de tous fait la richesse de chacun", "tout se tient",a-t-il commencé.
C’est étrange, mais on a déjà entendu cette expression : et oui ! Nicolas Sarkozy reprend régulièrement les justes propos de Ségolène Royal, celle qu’il qualifie pourtant si souvent (et avec beaucoup de tact…) de "nulle".
-"Je ne suis pas venu commenter la conjoncture, faire des prévisions", mais au contraire dire qu'il faut en faire davantage. "La croissance, il faut aller la chercher." "Le plus risqué, c'est de ne rien faire."
C’est à dire, exactement son choix : aucune proposition concrète n’a été énoncée durant ce discours.
- Nicolas Sarkozy a expliqué n'avoir pas renoncé à son objectif de ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, alors que pour l'instant le ratio pour 2008 est de un sur trois.
Il serait intéressant qu’enfin, le président réponde à la question maintes fois posée par l’opposition : Quels postes va-t-il supprimer ? Les infirmiers et personnels d’hôpitaux ? Les policiers ? Les gendarmes ? Les pompiers ? Encore moins d'enseignants (déjà 17 000 suppressions prévues) ? Etc. Alors même que ce sont tous des domaines déjà en difficulté et qui concentrent la très large majorité de fonctionnaires.
- "Toutes les politiques publiques seront passées en revue".
Là encore, c’est amusant parce que l'évaluation des politiques publiques est une suggestion de longue date de Ségolène Royal… jamais appliquée correctement par la droite…
- Ensuite, le président a plaidé pour une accentuation de la réforme fiscale en France :
"Je veux aller plus loin dans la remise à plat de nos prélèvements obligatoires. Je veux aller plus loin dans la réforme fiscale"
"Si l'on taxe trop le travail, il se délocalise, si l'on taxe trop le capital, il s'en va. Dans le monde tel qu'il est, taxer directement les facteurs de production, taxer directement le travail et le capital c'est se condamner à moins d'emplois, à moins de production, à moins de croissance, à moins de pouvoir d'achat", a-t-il souligné.
Au final, avec M. Sarkozy, on ne taxe rien et on trouve l’argent en s’endettant et en vendant des armes à des pays plus que douteux dans une région instable (La Libye par exemple). Je caricature mais à peine.
Bref, il serait utile de faire un rappel simple de politique économique : le capital, la rente ne crée pas l'emploi. Il faut inciter à l'investissement, et donc taxer plus le capital que le travail. C’est cela la véritable revalorisation du travail.
- Puis, notre président a déclaré vouloir aller "beaucoup plus loin" dans l'assouplissement des 35 heures afin de "redonner des marges de manœuvre plus importantes à la politique salariale"...
Aah ! Le fameux mythe des 35 heures ! (cela faisait longtemps…).
Ce n’est pas compliqué, lorsque l’on ne sait plus quoi faire en France, on accuse soit la Banque centrale, soit l’Euro, soit les 35 heures ! Bravo le simplisme… Nous y reviendrons plus loin.
- Nicolas Sarkozy a également souhaité "la rupture avec l'idéologie de la fin du travail, avec cette idée fausse que pour donner du travail à tout le monde, il faut partager le travail, avec cette politique de dévalorisation du travail qui depuis 30 ans s'efforce par tous les moyens d'empêcher les Français de travailler, qui démoralise et qui appauvrit les travailleurs de notre pays".
Deux choses ici : il faudrait rappeler que "depuis 30 ans", la droite a été bien plus longtemps aux responsabilités que la gauche et qu’ainsi, Nicolas Sarkozy devrait s’en prendre avant tout à sa famille politique.
Ensuite, on peut constater à quel point le président détourne la notion de partage du travail à son avantage.
Or, nous n'avons pas à avoir honte d'avoir voulu créer des emplois en partageant les richesses. Bien au contraire, les Français peuvent être fiers d'être solidaires.
- "Si la France a moins de croissance que les autres, c'est qu'on travaille moins qu'ailleurs", a de nouveau affirmé le chef de l'Etat, dans ce discours sur la politique économique lançant la deuxième phase des réformes économiques.
J’avais oublié ce mythe là ! C’est tout de même invraisemblable qu’il ait la vie si dure alors même que de multiples études[1] (et privées !) ont été réalisés pour prouver à quel point il est infondé.
En résumé et pour mettre fin aux clichés si répandus, ces études nous montrent que :
la France offre les coûts d'implantation les plus faibles des principaux pays européens
la France est troisième en termes d'attractivité économique après Singapour et le Canada (devant les Etats-Unis
la France figure parmi les pays "offrant un traitement fiscal très favorable aux entreprises de recherche et développement", derrière le Canada et le Royaume-Uni (devant les Etats-Unis)
la France connaît une productivité horaire très nettement supérieure à celle que connaissent le Royaume-Uni, l'Espagne, les Etats-Unis, le Japon et même l'Allemagne
la durée moyenne effective en France par semaine, tous types d’emplois et toutes branches confondues, en heures, est supérieure à la moyenne de l’Union Européenne (27 membres) : au moins 38 heures quand les Pays-Bas sont à peine à 31 heures par semaine…
Alors, à la question "Faut-il travailler davantage ?", la réponse est qu’il vaudrait mieux être plus nombreux à exercer un emploi.
- Par ailleurs, le président de la République a souligné l'importance du "problème du pouvoir d'achat" en France.
"Expliquer qu'il n'y a pas de problème de pouvoir d'achat en France, c'est se moquer du monde", a-t-il lancé, en s'en prenant aux indices du coût de la vie "Cette question du pouvoir d'achat, je veux qu'on la prenne au sérieux", a-t-il ajouté". Je ne veux plus qu'on se moque des Français avec des indices des prix qui ne veulent rien dire, qui ne mesurent pas le coût de la vie, qui n'ont aucun rapport avec la réalité vécue par les ménages", a-t-il déclaré. "C'est la crédibilité de la parole de l'Etat qui est en jeu", et "il ne peut pas y avoir de confiance s'il n'y a pas de vérité".
Là, on se permet de sourire. Notre président de la République reprend exactement la position de Ségolène Royal alors même qu'il s'en moquait durant la campagne présidentielle...
Or, une fois de plus, elle avait vu juste.
Comme sur l'Iran... sujet sur lequel Nicolas Sarkozy fait preuve d'une dureté un peu maladroite, lui qui ne manquait pas une occasion de faire des leçons de "real politique" à la candidate socialiste…
- Pour terminer, notons qu’aucun engagement n’a été pris ni sur les salaires, ni sur le prix du logement et des carburants (mais est-ce étonnant de la part de celui qui refuse de réglementer les ventes à la découpe, d’accroître les aides au logement ou de rétablir la TIPP flottante ?)
- Autre manque d’importance : rien pour les PME, une fois de plus laissées de côté…
[1] L’étude la plus notable et la plus importante est celle réalisée par KPMG "Choix concurrentiels", 2006.
Pour ce quotidien portugais, l’ouverture sarkozienne n’est qu’une façon d’ériger la trahison en système. Une habitude pour un politicien qui a commencé sa carrière en trahissant son mentor, Jacques Chirac.
Tout le monde connaît les danses macabres du Moyen Age : un squelette hilare mène par la main, dans un bal effréné, des seigneurs, des bourgeois, des prêtres et des paysans. Eh bien, pour le spectateur étranger, la scène politique française ressemble à cela. A cette différence près que ce n’est pas la Mort qui mène la danse, mais la Trahison. Le squelette hilare a été remplacé par la mine euphorique de M. Sarkozy, comme les journalistes présents au dernier sommet du G8 ont pu le constater. La danse de la trahison voit cet homme entraîner avec lui, dans une course enivrante, les figures les plus inattendues de la gauche, avec plus de force encore que le flûtiste de Hamelin qui attirait les rats vers l’abîme.
Tout a commencé avec un personnage inconnu du grand public, Eric Besson, expert économique du Parti socialiste (PS). Par un tour de magie noire, M. Sarkozy l’a transformé en déserteur. L’épisode, en pleine campagne présidentielle, était, ne serait-ce que par sa nature, extraordinaire. Nous pourrions penser que M. Besson est seulement un homme sans convictions, un simple technocrate. Mais voilà que, une fois élu, M. Sarkozy parvient à attirer à lui, au prix de ministères, de commissions, de secrétariats d’Etat et de hauts-commissariats, les figures qui incarnaient le plus les valeurs morales de la gauche !
Jack Lang, apôtre infatigable de la morale et de la sainte vertu socialiste, dont l’habit de conseiller spécial de Ségolène Royal était encore chaud, a ainsi accepté de faire partie d’une commission chargée de rendre encore plus présidentialiste le régime français. Le lecteur se demande certainement comment diable le régime de M. Sarkozy peut-il devenir encore plus présidentiel sans se transformer en dictature. En supprimant le Parlement ? Presque. En supprimant son émanation : le Premier ministre. Puis sont venus Bernard Kouchner, Fadela Amara, Martin Hirsch et beaucoup d’autres. Le lecteur nous dira : “Mais ces messieurs-dames pensent sans doute bien faire. Peut-être M. Sarkozy est-il moins à droite qu’un mois plus tôt.” Mais c’est là le plus extraordinaire : tous ont accepté d’entrer dans le gouvernement qui a créé l’invraisemblable ministère de l’Identité nationale, ministère auquel M. Kouchner a même accepté de déléguer les questions relatives au droit d’asile. De plus, ces messieurs-dames sont prêts à accepter les excès de violence policière caractéristiques de la méthode Sarkozy. Un exemple ? Vendredi 10 août, à Amiens, un enfant russe sans papiers, âgé de 12 ans, s’est jeté de la fenêtre pour échapper à la police qui venait tenter d’expulser sa famille. L’enfant vient juste de sortir du coma.
Quelle explication peut-on alors trouver ? Il n’y en a pas de rationnelle. Nous proposons de notre côté une explication irrationnelle, afin d’essayer de comprendre le charme irrésistible de ce magicien de la trahison qu’est M. Sarkozy. Voici notre hypothèse : M. Sarkozy a décidé de faire de la trahison non pas l’exception, mais la norme de la vie politique française. Et pourquoi ? Parce que, toute sa vie, M. Sarkozy traînera avec lui le souvenir d’un épisode traumatisant : le 5 mai 1995, il a été accueilli par des sifflets et des “traître, traître !”* à l’occasion du dernier meeting de Jacques Chirac, avant la victoire de ce dernier à l’élection présidentielle. Quelques mois auparavant, Nicolas Sarkozy avait trahi son père spirituel, Jacques Chirac, offrant son soutien à celui qui était alors le candidat préféré de la droite, le perfide Edouard Balladur. Depuis lors, pour beaucoup de Français, M. Sarkozy est LE traître. Un traître sympathique, un traître hyperactif, un traître populaire, mais un traître tout de même. Pour effacer cette tache, plus tenace que celle qui salissait la main blanche de Lady Macbeth, il fallait convertir en traîtres les cœurs les plus profondément enracinés à gauche. Ensuite, il fallait seulement transformer le sens des mots. Il est démodé de parler de “gauche” et de “droite”. Et on ne dit plus “trahison”, mais “ouverture”.
* En français dans le texte.
Leonor Baldaque et Pierre Vesperini
Público