Connaissez-vous la blague de la "liberté de la presse" et du "pluralisme des médias" ?
Ségolène Royal, invitée lundi soir sur France 2, a violemment mis en cause l'impartialité de la chaîne à propos d'un reportage consacré aux candidats socialistes aux législatives.
"Permettez-moi de vous dire que le reportage que vous venez de passer est assez scandaleux pour tous les candidats que vous annoncez perdus d'avance, battus d'avance", a dit l'ancienne candidate socialiste à la présidentielle au présentateur David Pujadas.
"Laissez les électeurs trancher, si vous le voulez bien ! Laissez les députés socialistes se battre entre les deux tours !", a-t-elle encore asséné.
Après un sujet sur la 2ème circonscription de Gironde, où l'UMP Alain Juppé est en ballottage, elle a également reproché à France 2 d'avoir "cité cinq fois" le nom du ministre de l'Ecologie et "pas une fois" celui de sa rivale socialiste Michèle Delaunay.
"On sait comment marche la communication", a-t-elle ajouté.
Mme Royal a ensuite interrompu le journaliste David Pujadas, qui se défendait en rappelant que le Conseil supérieur de l'audiovisuel (NDLR : dont les membres sont des soutiens à Nicolas Sarkozy… sic, et dont le président -Michel Boyon- est l'ancien directeur de cabinet de Jean-Pierre Raffarin... re-sic) encadre les reportages consacrés à la campagne électorale.
Donc: l'extrême droite n'existe pour ainsi dire plus.
C'est du moins ce que nous sommes prié(e)s d'aval(is)er, en remerciant au passage Nicolas Sarkozy - de nous avoir débarrassé(e)s de la bête immonde.
Dès hier le pauvre Pujadas l'a répété sur France 2 un milliard et demi de fois :
l'événement-de-ce-premier-tour-c'est-quand-même-l'effondrement-du-FN-l'événement-de-ce-premier-tour-c'est-quand-même-l'effondrement-du-FN-l'événement-de-ce-premier-tour...
Etc, etc.
(Mettez là-dessus des rythmes océaniques: vous aurez un tube de l'été.)
A s'en tenir aux pourcentages, le constat, évidemment, n'est pas faux.
Mais cette façon que nos journaleux (et nos commentateux) ont de le régurgiter en boucle a pour effet (voulu) d'occulter un minuscule détail: la "fin" du FN, comme dit "Le Monde", ne signifie nullement que son discours traditionnel aurait disparu de notre paysage politique.
Bien au contraire: ses idées, pour une (très) large part, sont désormais au pouvoir - et pas seulement au ministère de l'Immigration et de l'Identité nationale.
Si le FN fait ces temps-ci des scores inhabituellement bas, c'est uniquement parce que Sarkozy a passé beaucoup, beaucoup, beaucoup de temps, pendant sa campagne, à recycler des obsessions pénistes - comme l'a noté naguère Bernard Koukouche, rallié depuis au plagiaire.
Sarkozy, ne jamais l'oublier, a été l'homme (décomplexé) qui murmurait des trucs dégueulasses à l'oreille de l'extrême droite.
Sarkozy a été le glauque tribun pour qui la fin (prendre le pouvoir) justifiait les moyens les plus vils.
Dominique Perben, patron rhodanien de l'UMP, présente ça comme ça: "Sarko a réussi l'opération de ramener les électeurs du Front national dans notre famille".
Perben, qui ose tout, précise: "Il a reconstruit la majorité pompidolienne, c'est à dire l'ensemble de la droite et une partie du centre".
Mais dans la vraie vie, c'est Daniel Simonpieri, maire ex-FN (désormais apparenté UMP) de Marignane, qui a le mieux résumé ce qui se passait: "Beaucoup d'électeurs FN ont constaté que Nicolas Sarkozy disait les mêmes choses que Le Pen, mais que lui avait une chance de les mettre un jour en application. Ils ont donc voté utile".
L'électorat d'extrême droite a voté utile pour le gars qui lui a fourgué sa came habituelle dans un nouveau conditionnement.
L'électorat d'extrême droite a voté pour le gars qui lui a filé sa dose de racaille de banlieue et de musulmans égorgeurs de moutons.
L'électorat d'extrême droite a voté pour le gars qui lui a sans vergogne flatté la croupe, jouant de ses haines rances et de ses phobies recuites.
Voilà ce que nos journaleux cherchent désormais à minimiser.
Dans la vraie vie, le FN, avec son "discours xénophobe et raciste", est aujourd'hui à 4,29 %, comme l'observe "Le Monde".
Mais c'est parce que de gros morceaux de sa propagande se sont retrouvés dans celle du chef de l'Etat.
"Le Monde", cependant, ne semble pas s'en offusquer outre-mesure.
Dans "Le Monde", le braconnage éhonté de Sarko sur les terres du Pen devient, tenez-vous bien: une "stratégie de "triangulation" menée par le candidat Sarkozy, consistant à provoquer l'extrême droite sur son propre terrain, avec un discours de fermeté sur la sécurité, l'immigration et l'"identité nationale""...
Les musulmans qui égorgent des moutons?
Mais puisqu'on vous dit que c'était seulement de la fermeté!
En somme, pour "Le Monde": quand Le Pen fait du Le Pen, c'est insupportable - mais quand Sarko fait du Le Pen, c'est juste un discours un peu exigeant, façon je-me-laisse-pas-marcher-sur-les-pieds.
"Le Monde" peut alors annoncer le "décès de l'extrême droite", pour mieux se réjouir à la Une que "Sarkozy (sorte) renforcé du scrutin d'hier": on appelle ça, dans le meilleur des cas, un tour de passe-passe.