Les malentendus de l'élargissement
A l'ouest, l'idée européenne a pris corps en réaction aux conflits ravageurs de la première moitié du XXe siècle : il fallait assurer la paix entre les anciens belligérants en les liant par des intérêts communs. Les considérations de sécurité face à la menace soviétique ont joué, sans être déterminantes : les deux puissances nucléaires (France et Grande-Bretagne) n'ayant pas vocation à sanctuariser l'ensemble du territoire de la Communauté, celle-ci s'en remettait au « parapluie » américain. Les pays d'Europe centrale et orientale, eux, n'ont pas les mêmes références historiques. La Première Guerre mondiale a été pour la plupart d'entre eux l'occasion d'échapper à la domination des empires continentaux (Autriche, Allemagne, Russie), et de conquérir ou de recouvrer leur indépendance, voire leur existence en tant qu'Etats. Leur grande catastrophe du XXe siècle a été de tomber après 1945 sous l'emprise soviétique, et ils considèrent toujours la Russie comme leur principale menace. D'où la priorité qu'ils accordent à l'Otan et leur attachement aux Etats-Unis. D'où, aussi, la colère de la Pologne et des Etats baltes au sujet du gazoduc russo-allemand, dont le tracé contourne leurs territoires alors qu'ils dépendent largement de la Russie pour leur approvisionnement énergétique.
Ce malentendu historique en engendre un autre, sur la conception même du « vivre ensemble ». A l'ouest, la construction européenne s'est traduite par l'adoption de règles communes et la création du grand marché, dont chaque pays profitait, les aides régionales ou sectorielles ne faisant qu'accélérer la convergence des niveaux de vie dans une perspective, floue mais réelle, d'union politique. Pour les pays d'Europe de l'Est, l'union politique est, au mieux, un objectif secondaire, la convergence économique est prioritaire. Et les aides communautaires doivent être d'autant plus substantielles qu'elles sont la compensation d'années de dépendance et de stagnation, pour des nations injustement « abandonnées » à la griffe soviétique.